Léon Maret

© Renaud Monfourny

Léon Maret aurait pu être autre chose qu’un dessinateur de talent. Jeune, de la fougue plein les cheveux et une guitare dans les mains, il connaît un petit succès avec son groupe de punk Les Betteraves. Assagi, il quitte Belleville, part étudier à Strasbourg, s’y gomine les cheveux et co-fonde en 2009 le très classieux magazine Belles Illustrations. C’est à cette époque, au hasard d’un soir d’été caniculaire, que son entraîneur de boxe française propose aux curieux de découvrir un autre sport. Léon acquiesce, le regarde fouiller dans une réserve, puis revenir au gymnase, des cannes entre les bras… Cette découverte l’amènera à publier, au printemps 2012, le révolutionnaire Canne de fer et Lucifer, puis, en 2017, Coco jumbo, et Papa aux Enfers (2021), aux éditions 2024.

Accueilli dans le supplément Couac ! de Picsou Magazine, il y livre avec son compère Matthias Aregui le feuilleton le plus dingo de la dernière décennie : Micro-Zouzou contre les Maxi Zinzins !

Bibliographie :

Canne de fer et Lucifer, éditions 2024
Coco Jumbo, éditions 2024
Papa aux Enfers, éditions 2024
Micro-Zouzou contre les Maxi Zinzins!, éditions 2024

Quelques questions
à Léon Maret,
à l’occasion de la sortie
de son livre :
Papa aux enfers

Comment ce livre est-il né ?

Il est né en plusieurs étapes, comme tous mes livres je crois. Généralement, j’ai plusieurs idées ou envie de livres qui me tournent dans la tête un certain temps. Je note celles qui restent le plus longtemps. J’écris un peu sur l’une, sur l’autre, pour la plupart je les délaisse et je les abandonne naturellement, et certaines restent. En l’occurrence, Papa aux Enfers c’est parti du titre, qui m’a fait rire, genre Orphée aux Enfers [opéra d’Offenbach, ndlr] mais avec ce truc très enfantin et un peu gênant de « papa ». Un peu comme si je disais « Maman de Bergerac » ou « Les dix petits tontons », ou « Papy au bout de la nuit ». Immédiatement, quand on entend « Papa au Enfers » on voit Dante et tous les cercles, à la fois des visions apocalyptiques et de la grande littérature sérieuse. Le contraste m’a fait rire, et me fait encore rire, j’espère qu’il en fait rire d’autres. Je ne sais pas vraiment pourquoi cette idée est restée plus qu’une autre, mais au bout d’un moment, sans comprendre, je lui fais confiance.

Pourquoi le principe du cherche et trouve ? Qu’est-ce qui vous amusait là-dedans ?

Déjà, ça va bien avec le sujet, l’enfer c’est du discursif, de la quantité, ce n’est pas vraiment un récit linéaire, c’est multiple, ça pullule. C’est l’altérité, la multitude de subjectivité faisant un grand tout fusionné par la souffrance. Cherche et trouve les trucs dégueulasses. Ça nous met dans la peau d’un dermatologue, ou d’un chineur de faits divers, mais en mode fun et pop. Et puis, il suffit de penser aux représentations de La Divine Comédie, médiévales, renaissantes (Botticelli), ou plus modernes (Doré), voire n’importe quelle représentation de l’enfer dans l’histoire de l’art (Bosch, évidemment) pour que le principe du cherche et trouve saute aux yeux. Ça nous ramène à l’organisation del’espace humaniste, qui, par la perspective, vient ordonner et rationaliser le monde pour le comprendre, pour le sortir des ténèbres ; alors que la simultanéité de la vision frontale des proliférations anarchiques de vie, c’est très médiéval, voir païen. Bref, c’est comme si Satan avait inventé le principe du « cherche et trouve », pour qu’on puisse raconter l’Enfer.

Un monde tout lisse et bien construit versus les enfers où tout par à vau-l’eau…

Pardon mais si notre monde partait à vau-l’eau, et que les enfers étaient bien construits, ça nous donnerait de bien mauvaises idées ! Mais c’est une proposition à laquelle on peut réfléchir.

Les dessins sont tout à la fois : terrifiants, répugnants, méchants, déprimants, cruels, pervers… bref, cauchemardesques. Ici s’expriment bien des choses qu’on ne croise pas dans des livres illustrés, avez-vous abordé Papa aux enfers comme une sorte de catharsis ?

Non pas du tout. C’était pour le fun, vraiment. Un peu comme faire un film d’horreur rigolo. Après, tout est un peu cathartique dans la vie : faire un petit foot, manger un gros plat de pâte, prendre une douche…

Comment avez-vous pensé le graphisme de ce livre ?

J’ai essayé d’aller vers les images qui me fascinaient enfant, celles qui m’hypnotisaient, que je regardais des heures. Lesquelles étaient-elles ? Petits, on habitait à Belleville et il y avait beaucoup de boutiques Tout à 10 francs. On y passait des heures avec mon grand-frère, à trainer devant les jouets en plastique Made in Bangladesh ou Taiwan. Ce qu’il faut savoir, c’est que le monde du jouet a vécu une révolution dans les années 80. Une grande vague nippone a envahi la France, avec la marque Bandai et ses figurines en plastique, concomitante avec l’importation des dessins animés japonais. Le jouet occidental en bois ou en fer blanc, peint à la main, a soudain été jarté par des bouts de plastique super colorés, exotiques, hybrides et pas chers. Dans les Tout à 10 francs, on trouvait la version discount sud-asiatique de ces jouets- là. Et comme ces versions discounts imitaient le packaging japonais, on y voyait des espèces d’hybrides nippono-sud-asiatique ; vous pouvez imaginer Dragon Ball dessiné par un peintre d’affiches de cinéma de Bollywood, et vous aurez une idée. Ces images nous fascinaient : on rentrait du Tout à 10 francs les yeux dilatés, un peu comme si on rentrait d’un zoo cosmique ou un peu comme si un aveugle découvrait la vue pour la première fois à la Foire du Trône.

Les dessins des créatures et autres objets sont traités comme des autocollants, d’ailleurs le livre est accompagné d’une planche d’autocollants, pourquoi ?

Pour se rapprocher encore une fois de ce qui m’a marqué enfant, avec les cartes à collectionner et à coller sur des magazines. Pas forcément par sentimentalisme, mais parce que si ça a marché avec nous à l’époque, ça marchera avec les enfants d’aujourd’hui. Quelque part, l’autocollant a un statut bâtard, c’est plat comme une image, et c’est en même temps un objet fini. C’est entre deux mondes, le monde de l’auto- hypnose du scopophile, et celui de la pulsion d’emprise, de possession, de collection.

Autant Micro Zouzou était une collaboration, là, on croise les couleurs, les dessins et même les idées d’une bonne tripotée d’autrices et auteurs ou d’ami·e·s, pourquoi ?

Ça a été surtout pratique, j’ai accueilli une étudiante en stage, Alma De Beir, sûrement une future grande autrice, qui m’a bien aidé à avancer sur les couleurs. À un moment où j’étais débordé par d’autres travaux, j’ai demandé de l’aide au dessinateur Jérémy Piningre [J’ai rarement vu ça de Jérémy Piningre et Mathieu Lefèvre est au catalogue des éditions 2024, ndlr] de me filer un coup de main sur les décors. À propos des prénoms cités ensuite, j’ai envoyé un grand mail à mon entourage où je leur demandais leurs idées de l’enfer. C’était d’abord parce qu’en tant qu’auteur, j’ai des mécaniques routinières de création, et je voulais dessiner des idées que je n’aurais pas pu inventer, que ça me surprenne moi-même. Et puis, ça fait dix ans que je dessine dans mon coin, ça me faisait très plaisir d’inviter des gens que j’aime à participer, c’était un peu une déclaration d’amour. Dont ils m’ont bien assuré de la réciprocité en me proposant leurs trucs tordus.

L’intervention de la lectrice et du lecteur (on l’avait déjà vu sur Sauve les chauves) semble être une notion qui vous intéresse, pourquoi ?

Ha oui tiens. Je pense que c’est par manque de confiance : je vais assez spontanément vers des idées où la réflexivité, la performativité sont en jeu, parce qu’elles m’assurent la connivence du lecteur. Ça permet d’affermir un lien. Mais c’est un mauvais tic. C’est comme demander « hein ? » à la fin de chaque phrase pour bien s’assurer que l’interlocuteur écoute, c’est plutôt un défaut.

On ne peut pas s’empêcher d’y chercher des traces de ce monde fou dans lequel nous vivons, allégorie ?

Rien ne se crée ex nihilo.

Tout ça pour une cafetière ?

Oui. Je bois beaucoup de café. Le café vaut le coup de traverser les Enfers. Quand on voit ce qu’on a fait pour des épices au court de l’Histoire, là ça reste gentil. « C’est comme si Satan avait inventé le principe du cherche et trouve, pour qu’on puisse raconter l’Enfer. »

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