Tom Gauld
Tom Gauld est né en 1976 dans l’Aberdeenshire, en Écosse, quelque part entre les monts Grampians et la mer du Nord. Enfant, il dessine, construit des Lego et joue au petits soldats, ce qui l'amène naturellement, n'est-ce pas, à entreprendre des études d’illustration à l’Edinburgh College of Art. Dès 2001, alors étudiant au prestigieux Royal College of Art, à Londres, il crée Cabanon Press (avec Simone Lia), maison de micro-édition au sein de laquelle il publie tous ses premiers travaux (Three very Small Comics - 3 volumes, Fluffy …etc).
Depuis, il vit toujours à Londres et travaille comme illustrateur et dessinateur de presse (The New Yorker, The New York Times, the Believer…). Il publie également un cartoon hebdomadaire dans le cahier littéraire du Guardian, ainsi que pour la revue scientifique the New Scientist.
Contributeur régulier du Kramer’s Ergot et auteur de livres chez (feu-) Buenaventura Press, ses albums sont maintenant publiés par Drawn & Quarterly. Tous ses livres ont déjà été traduits en français, à l'Association (Goliath, 2012) puis aux éditions 2024 depuis 2014.
Bibliographie :
La revanche des bibliothécaires, éditions 2024
Vers la ville, éditions 2024
Vous êtes tous jaloux de mon Jetpack, éditions 2024
En cuisine avec Kafka, éditions 2024
Le département des théories fumeuses, éditions 2024
Goliath, éditions 2024
Police lunaire, éditions 2024
Quelques questions à Tom Gauld,
à l’occasion de la sortie
de son livre :
LA REVENCHE DES BIBLIOTHÉCAIRE
Lucie Servin : Les strips réunis dans ce recueil ont été publiés dans le Guardian. Quelle est la nature de vote collaboration avec ce journal ?
J’ai commencé à travailler au Guardian il y a 16 ans et j’y ai réalisé plus de 500 dessins et bandes dessinées depuis. Au fil du temps, j’ai changé ma façon de travailler avec eux plusieurs fois. Au départ, les strips venaient illustrer un article du journal, mais maintenant, je choisis le thème. Il m’arrive de discuter de temps en temps avec les responsables des pages consacrées aux livres au sujet de l’actualité littéraire et de ce qui, selon eux, pourrait constituer un thème intéressant. Mais c’est surtout moi qui cherche à savoir ce qui pourrait être drôle.
La Revanche des bibliothécaires couvre une période qui va de 2017 à 2021 : comment avez-vous procédé pour faire la sélection des strips ?
Je les ai tous imprimés et étalés par terre. Puis j’en ai retiré quelques-uns : ceux que j’aimais moins que les autres, ceux qui me semblaient trop liés au moment de leur publication ou encore ceux qui traitaient d’un thème trop similaire aux autres. Heureusement, après ça, j’avais juste la bonne quantité de strips pour faire un livre.
Comment vos strips ont-ils évolué au fil des années ?
J’ai beaucoup appris en faisant tous ces strips précédemment et je pense que ce recueil contient certains de mes meilleurs travaux. C’est mon recueil préféré. Ces strips sont d’un format plus long que les précédents car le Guardian a déplacé les pages littéraires en créant leur propre petit magazine hebdomadaire. A cette occasion, ils m’ont laissé le bas de la dernière page. Ce petit espace supplémentaire était idéal pour moi : je pouvais glisser une case supplémentaire ou plus de texte et rallonger un peu les blagues. Peu à peu, j’ai aussi appris à écrire des blagues plus accessibles, qui, espérons-le, fonctionnent aussi bien pour le public plus littéraire qui lit le journal, que lorsqu’elles sont diffusées plus largement sur Twitter ou Instagram.
En quoi la pandémie vous a-t-elle inspiré dans cette période et quelles ont été les répercussions sur le marché du livre au Royaume-Uni ?
Mes amis de l’édition et des libraires m’ont dit que les ventes ont été meilleures pendant la pandémie, même si tout n’a pas été rose, et que ça restait une période compliquée. Moi-même, j’ai remarqué une vague de soutien très encourageante pour les librairies locales pendant les confinements. L’étrangeté de cette période était un bon matériau pour moi et j’ai senti qu›il était important de remonter le moral des gens dans ce moment difficile.
Comment travaillez-vous pour trouver vos idées ?
Je suis toujours à la recherche d’idées pour mes strips parce qu’il y a toujours l’urgence de la date limite, que ce soit quand j’écris pour le Guardian ou le New Scientist. Je ne sors jamais sans un petit carnet de la taille d’un passeport dans ma poche. J’y écris tout ce qui, même insignifiant, peut être le début d’une idée de dessin. Je prends aussi des notes sur mon téléphone si quelque chose me vient la nuit ou quand je marche quelque part. Ensuite, j’ai un plus grand carnet de croquis où je joue avec les idées sous forme de griffonnages, de diagrammes et de notes. Je vais m’asseoir à mon bureau ou dans un café pour remplir les pages d’idées et de variations. J’essaie de ne pas me précipiter pour arriver au strip final car je pense que les idées initiales et les premières étapes sont les plus importantes. Même dans ce nouveau format du Guardian, la place reste limitée : je ne veux pas perdre d’espace donc je reprends beaucoup. Je retravaille le texte pour qu’il soit clair mais aussi concis que possible. Quand je sens que j’ai saisi mon idée, je fais une version du strip au crayon sur du papier de photocopie bon marché, en utilisant souvent la table lumineuse pour tracer et essayer différentes compositions. Je peux parfois modifier un peu cette version brute dans Photoshop, puis je l’envoie à mes éditeurs pour voir s’ils l’aiment. Ils demandent très rarement des modifications, mais il arrive qu’ils proposent une modification ou une suggestion utile.
Qu’est-ce qui fait qu’un strip fonctionne ?
Malheureusement, je n’ai pas de méthode fiable pour faire un strip. Certaines semaines, une bonne idée me vient alors que je me rends au travail à pied et à l’heure du déjeuner, j’ai un bon dessin. D’autres semaines, je passe des journées entières à me gratter la tête et à boire du café et rien ne semble fonctionner. Avoir une date butoir est une bonne chose pour ma créativité. Quand le temps presse, je me concentre et parfois je fais mon meilleur travail à la dernière minute. J’ai aussi quelques petites recettes. L’une est de penser le contraire de quelque chose : tout le monde pense que les bibliothécaires sont studieux et modestes, mais que se passerait-il s’ils se levaient et conquéraient le monde ? ou se comportaient comme des gangsters ? Alors je réfléchis tout à fait logiquement à ce concept idiot.
Le strip est un exercice très synthétique et très contraignant. Vous faites aussi des histoires longues. Comment articulez-vous ces deux faces de votre travail ?
J’apprécie vraiment les contraintes liées à la réalisation de mes strips et la liberté de lancer une nouvelle idée chaque semaine. J’ai beaucoup de chance d’avoir cet espace pour jouer de différentes manières et d’avoir des éditeurs qui me font confiance. Parfois, le petit espace signifie que je dois couper une phrase que j’aime vraiment, ou perdre une case qui avait l’air bien mais qui n’était pas cruciale pour l’histoire, et cela peut être frustrant. Mais réduire les choses au minimum m’attire vraiment, je ne sais pas pourquoi, mais c’est juste mon instinct naturel. Mes deux romans graphiques (Police lunaire et Goliath) ont été de loin le travail le plus dur que j’ai fait. Trouver une idée qui peut nourrir quatre-vingts pages, plutôt que quatre cases est très difficile pour moi : je suis d’une constitution plus apte aux idées courtes. J’essaie en ce moment de commencer un nouveau roman graphique et ça n’avance pas, mais j’aime tellement la forme que je dois essayer : je ne peux pas m’en empêcher.
Vous avez développé un style minimaliste et personnel très caractéristique, presque signalétique. Quel est pour vous l’intérêt de cette écriture graphique stylisée ?
Quand j’ai commencé à écrire des bandes dessinées, j’ai décidé de me concentrer sur ce que je considérais comme le plus difficile : raconter des histoires. Je pensais utiliser un langage visuel très simple pendant que j’apprenais, puis passer à quelque chose de moins minimal. Mais avec le temps j’ai réalisé qu’un style très dépouillé me convenait et aussi aux histoires que j’aimais raconter alors je m’y suis tenu. Toutes les bandes dessinées sont par définition des narrations graphiques qui doivent transmettre des informations au lecteur. J’aime le défi de communiquer de la manière la plus simple et la plus claire, ce qui fonctionne particulièrement bien pour les blagues.
Avez-vous des modèles de strips ou d’autres artistes qui vous inspirent ?
Edward Gorey a eu une énorme influence depuis que j’ai commencé à faire des bandes dessinées. J’adore ses dessins et son humour. Il a cette façon de faire juste son propre style en utilisant certains des outils de la bande dessinée traditionnelle mais en ignorant aussi d’autres. Pour mes strips hebdomadaires, je me suis également inspiré d’artistes qui racontent des blagues dans de petits espaces : Gary Larson en particulier et certains des meilleurs dessinateurs du New Yorker : Roz Chast, Edward Steed, Liana Finck et Charles Barsotti. En ce qui concerne les dessinateurs britanniques, je suis un grand fan de William Heath Robinson depuis que je suis enfant et j’aimerais pouvoir dessiner à moitié aussi bien que lui.
C’est déjà le quatrième recueil que vous réalisez. Au fil des strips, on voit apparaitre des schémas, des mécaniques de composition, de découpage, des mises en scène de jeux, de détournements, d’organigrammes. N’avez-vous jamais peur de vous répéter ?
J’essaie de toujours chercher un intérêt aux strips que je réalise pour mon public et plus important encore pour moi. Ces structures m’aident à cela. Sans avoir une projection consciente de l’utilisation de tous ces schémas, je pourrais plutôt penser « tiens, je n’ai pas fait de diagramme depuis un moment », ce qui peut alors m’inspirer un nouveau strip. Comme je ne veux pas me répéter, je sais que si je réutilise un format, je m’assurerai que le contenu est différent. De même, si je trouve une blague qui ressemble un thème déjà traité précédemment, j’essaierai de la mettre dans un format différent.
Ce recueil comme les précédents peut se lire comme une déclaration d’amour aux livres. Vous jouez souvent sur les préjugés entre la grande littérature et la littérature de genre. Revendiquez-vous cette ambition de décloisonner les genres ?
Tous mes strips peuvent définitivement se lire comme une lettre d’amour aux livres. Toutes les taquineries, les plaisanteries et les parodies que j’imagine sont nées de cet amour et de ce respect. Ce qui m’irrite le plus et ce que je combats c’est le snobisme à propos des livres. Sans hésitation, les snobs à l’esprit étroit sont les plus durement caricaturés dans mes strips.
On pense à « Super circonflexe man » qui, alors que la maison brûle, se focalise sur l’orthographe du panneau.
Oui je trouve les pédants de la grammaire très pénibles. Bien sûr, nous aimerions tous écrire de belles phrases parfaites, mais ce n’est pas vraiment la fin du monde si parfois les choses sont un peu rudes sur les bords. Surtout sur Internet, certaines personnes aiment trouver une erreur et la signaler. J’en ai fait l’expérience parfois en publiant mes strips et le plus souvent, la personne qui « corrige » se trompe. C’est exaspérant.
Le titre « En cuisine avec Kafka » donnait au recueil précédent une tonalité axée sur le processus de création, sur les schémas narratifs, sur le contenu des livres. Même si certains strips de ce nouveau recueil reprennent cette thématique, avec ce titre « La Revanche des bibliothécaires » l’accent semble davantage mis sur les acteurs du milieu littéraire, sur la question de diffusion du livre, de sa réception, sur le marché et les ventes. Comment caractériseriez-vous ce recueil ?
C’est une question intéressante et je n’y ai pas vraiment réfléchi. Mais il est certain que j’ai essayé d’éviter de faire trop de strips sur les écrivains pour me concentrer également sur les lecteurs, les éditeurs, les libraires et les bibliothécaires. Pour trouver un titre, je feuillette mes strips et j’écris des phrases qui sonnent bien. La phrase « La Revanche des bibliothécaires » n’apparaît pas exactement dans le livre. Elle existe en tant que brouillon dans les prémisses du premier strip. J’ai aimé l’idée de me concentrer sur les bibliothécaires. Pour moi, ils sont comme les icônes de l’amour pur des livres, un amour qui n’est pas entaché par l’ego de l’écrivain ni par le commerce des éditeurs et des libraires (même si j’aime aussi tous ces professionnels !).