Camille Floue
©Christophe urbain
Camille Floue est née un vendredi 13, celui de l’année 1986. Après des études de lettres et de philosophie, elle est devenue enseignante. Elle a toujours inventé des histoires, des chansonnettes et des images. Elle vit et travaille à Paris. Elle est l’autrice de La partie de cache-cache et La dormeuse, albums illustrés par Vincent Pianina et Le petit cheval prudent, illustré par Camille Louzon.
Bibliographie :
Météolove (avec Éponine Cottey)
La partie de cache-cache (avec Vincent Pianina), ed. Hélium.
Le petit cheval prudent, ed. La partie.
La dormeuse (avec Vincent Pianina), ed. Albin Michel.
Quelques questions à Camille Floue et Éponine Cottey,
à l’occasion de la sortie
de leur livre :
MÉTÉOLOVE
Comment est née, entre vous deux, cette histoire de sentiments intérieurs opposés à l’atmosphère du monde extérieur ?
Camille Floue : Depuis quelques années, le thème des émotions est très présent dans la littérature jeunesse. Il est souvent abordé à travers des personnifications, ou des métaphores, et notamment celle d’une météo intérieure. Je me suis amusée à pousser cette idée un peu plus loin en imaginant un personnage totalement absorbé dans sa météo sentimentale, au point d’ignorer complètement la réalité qui l’entoure. J’avais déjà collaboré avec Éponine dans un magazine, et j’ai écrit en pensant à ses illustrations pop !
Éponine Cottey : J’avais illustré une histoire de Camille, mais sans qu’on se rencontre. Et quand elle m’a proposé ce texte-ci, j’ai tout de suite été charmée par sa forme et sa sonorité. Et bien sûr le principe de l’histoire, ce décalage entre le texte et l’image que j’ai adoré mettre en scène. Le personnage principal, cheveux roux, gai au réveil comme s’il faisait beau alors qu’il pleut tout autour, prend son vélo avec le sourire, transportant une lettre à celle qu’il aime, l’imaginant derrière chaque échoppe sur son chemin. Mais elle n’a pas l’effet escompté. Il est rare dans les livres jeunesse de casser ainsi l’élan…
CF : C’est l’élément qui permet de passer d’un extrême à l’autre, d’une joie légère à une tristesse pesante. L’assombrissement de l’humeur du personnage coïncide avec l’éclaircissement du ciel dans les illustrations.
Il y a beaucoup d’humour dans les noms des boutiques et échoppes : l’Hôtel du Calvaire où l’on broie du noir à la fenêtre, le Dr Malo Dan, le coiffeur Bradley Coup’Hair, l’épicerie Candyraton… Qui a trouvé ces noms ? Était-ce un jeu d’aller-retour entre vous ?
CF : Toute la gloire revient à Éponine pour ces incroyables enseignes !
EC : Je pense que j’ai commencé à porter une attention aux noms des rues et des boutiques quand j’ai vécu à Strasbourg. Ils sont très imagés et nous racontent un peu de l’histoire de la ville. C’est ce que j’ai voulu retranscrire dans ce livre, pensé en plan séquence. Le personnage passe devant sans y faire attention, c’est son quotidien, mais ça donne envie au lecteur d’y revenir pour découvrir de nouveaux détails, comme quand on visite une ville pour la première fois. Et j’ai une passion secrète pour les enseignes de coiffeur !
Il y a de nombreux détails glissés un peu partout, à découvrir en prenant le temps de bien regarder dans les arbres, derrière une haie, une vitre… Vous pensez au plaisir renouvelé des lecteurs de découvrir des choses qu’ils n’avaient pas forcément vu dès le départ ?
CF : Les images d’Éponine fourmillent de détails délicieux et de petites histoires muettes secondaires, en arrière-plan, que les jeunes lecteurs adorent observer minutieusement ! Le tout avec beaucoup d’humour, et des tas de petits animaux mignons, joyeux ou grognons, à débusquer dans les décors.
EC : Oui, pour moi c’est très important de glisser des petites scènes amusantes, même si on ne les voit pas toutes à la première lecture. On peut ainsi suivre les déambulations de plusieurs personnages d’une page à l’autre et revenir à l’histoire principale, comme ça on ne se lasse pas de relire le livre. Tout est peint à l’eau, dans un jeu de superpositions fonçant les teintes, ce qui nécessite une grande maîtrise car on ne peut revenir en arrière !
EC : J’utilise des feutres à alcool, mais effectivement j’ai joué sur l’intensité des teintes pour opérer un contraste entre les deux parties du livre. Heureusement, j’utilise parfois Photoshop quand je me trompe de couleur. Mais je fais tout à la main jusqu’à ce que la composition et les couleurs me conviennent. J’ai mis beaucoup de temps à trouver la gamme de couleur pour la première partie du livre, où tout est gris. Mais une fois que les couleurs ont été fixées, celles pour la seconde partie sont venues très facilement. Ce médium rappelle la pluie de la première partie et les larmes de la seconde, quand tout s’inverse : l’averse cesse, mais lui ne peut arrêter les larmes dévalant ses joues. Tout le monde retrouve le sourire alors que lui marche le cœur lourd. Ce jeu sur la perception des choses – et l’écart entre ses sentiments intérieurs et la vie extérieure – passe par le dessin finalement, comme s’il fallait sentir les choses, sans s’enfermer non plus dans sa seule bulle…
CF : En matière d’histoires d’amour et d’amitié, il y a autant à rire qu’à pleurer. Le personnage vit tout intensément, dans le moment présent, comme le font les enfants.
Graphiquement, tout est en rondeur et courbes, rappelant Bienvenue à Bibiville (paru en 2021 aux Éditions 2024 – Collection 4048), avec des instants de réconfort pop et d’autres, tout aussi joyeux, comme un superbe ballet de cerfs-volants. C’était important que l’univers soit plutôt gai, et seul le moral du personnage principal en berne ?
CF : Dans la première partie de l’histoire, le personnage est très joyeux, amoureux, plein d’espoir, alors qu’autour de lui tout le monde est en rogne, fâché par la météo désastreuse. On sent que sa joie lui donne de la force, de la confiance, et le protège des mauvaises ondes. Au contraire, lorsqu’il fait beau et qu’il surnage en plein chagrin d’amour, l’allégresse de tous les passants semble l’agresser constamment. Les illustrations d’Éponine rendent le tout léger et drôle, du fait de tous les détails et les expressions des habitants. La forme versifiée et rimée donne un air de ritournelle à ce jeu de sentiments intemporel. Un cœur brisé, c’est à la fois un immense drame et puis aussi rien de grave. L’histoire forme une boucle, manière d’exprimer que rien ne dure, que tout passe, surtout les chagrins d’amour…
EC : Quand j’ai lu le texte, j’ai tout de suite pensé à cette idée de ritournelle, et j’ai voulu la mettre en évidence en créant une boucle narrative. Le livre raconte la journée du héros, du lever au coucher du soleil, et on pourrait le reprendre du début et le relire, ce serait une autre journée qui commencerait et ainsi de suite. Dans la journée d’un enfant, il se passe tellement de choses, que c’est un peu comme un temps breton au niveau des émotions !