Saehan Parc
Saehan Parc naît en 1989 à Bucheon en Corée du Sud. Elle entend parler pendant ses études au Lycée d’animation de Séoul, des Arts Décos de Strasbourg et de sa brillante section Illustration. Elle décide alors de venir en France, s’inscrit à la Fac, apprend le Français, et finit par accrocher une place dans l’école de ses rêves. Avec ses valeureux camarades de promo Manon Debaye, André Derainne et consorts, elle prend part à la fabuleuse aventure de la revue Mökki et publie de nombreux fanzines.
Papa Ballon, son premier livre a reçu le prix Révélation Livre Jeunesse ADAGP 2021.
Bibliographie :
Coucou Sommeil, éditions 2024
Papa Ballon, éditions 2024
Quelques questions à Saehan Parc,
à l’occasion de la sortie
de son livre :
COUCOU SOMMEIL
C’est votre premier album pour enfant, comment s’est faite la rencontre avec les Éditions 2024 autour de ce projet ?
2024 suivait mon travail et c’est lui qui a repéré le potentiel de mon style pour un livre pour enfants. Il m’a proposé de travailler sur un projet jeunesse. C’est ce qui m’a fait réfléchir à ce public spécifique. J’ai alors repensé à un dessin que j’avais fait quand j’étais au lycée : c’était une petite gamine tenant un ballon qui avait la forme de son père... mais à l’époque le ballon, c’était tout le corps entier, pas que la tête ! Repenser à ce dessin m’a donné un point de départ, je me suis dit que c’était vraiment un début marrant pour une histoire. Ensuite l’écriture a été assez rapide. Ce qui est étrange, parce que pour mes bandes dessinées, cela me prend beaucoup plus de temps, je fais un synopsis complet, je construis tout page par page… alors que pour Papa Ballon, j’ai écrit dans l’ordre, au fil du temps, en essayant d’adopter la manière de penser d’un enfant. J’ai travaillé le texte et les images un peu en même temps : parfois j’avais d’abord l’image très claire dans ma tête, et d’autres fois j’ai avancé et dessiné les images plus tard parce que j’avais le déroulé de l’histoire mais pas encore les images en tête. Selon la situation, la forme s’est imposée, notamment pour les deux grandes double-pages où l’espace s’ouvre tout à coup pour souligner des moments importants dans l’histoire.
Avez-vous spécifiquement travaillé votre langue à destination des enfants ?
Mon écriture est très directe, elle va droit au but. C’est probablement parce que le français n’est pas ma langue maternelle : j’ai un vocabulaire simple, qui peut faire penser à la manière de parler d’un enfant. La relecture s’est portée sur des détails, le temps des verbes ou des formulations que l’on a revues ensemble avec les éditeurs. Par contre, j’ai voulu garder tout ce qui était dans l’histoire dès le début.
Comment avez-vous choisi la typographie cursive utilisée dans l’album ?
On a cherché longtemps ! On a essayé avec des polices design, c’était beau mais cela donnait un air froid à l’histoire, ou alors le rendu était trop classique alors qu’on voulait de l’originalité, du mouvement. On a cherché des typographies manuscrites, mais c’était souvent très laid ! Alors quand on a fini par en trouver une qui allait, je l’ai redessinée entièrement au stylo pour mettre toutes les liaisons entre les lettres, et ainsi renforcer encore plus le côté manuscrit.
La plupart des images sont encadrées par une frise de petits ronds, qui semblent tantôt faire écho au décor, tantôt refléter les émotions de l’héroïne : comment avez-vous pensé ces cadres ?
Quand je dessine en temps normal, je fais souvent ce genre de cadres, parfois remplis de couleurs, parfois vides. C’est encore mieux quand j’arrive à intégrer une narration en plus à l’intérieur. Dans Papa Ballon, il y a certains éléments qui appelaient spontanément à être mis dans des petits ronds ! Par exemple, dans la scène de la boulangerie, je me suis bien amusée à faire plein de pains avec des couleurs différentes. Quand Hana dessine sur le mur, j’ai voulu que le cadre évoque une frise de bonbons multicolores, comme autant de petites bulles pimpantes, pour que l’on ressente combien dans sa tête, cette gamine fourmille d’imagination.
La composition des images est très dynamique et en même temps pleine de spontanéité, comment s’agencent tous ces petits ronds dans vos images ?
J’essaie de faire le plus de croquis possibles avant, pour pouvoir ensuite dessiner directement sur le papier, sans esquisse. Il n’y a presque jamais de crayonnés ; les seules fois où je suis obligée d’en faire, c’est quand je veux vraiment centrer des personnages, maîtriser complètement le cadrage. Il y a une part d’inattendu : parfois il y a des accidents, je dessine trop de ronds, ou en tout cas plus que je n’avais prévu, et du coup je dois trouver des idées pour leur donner un sens, cela crée des objets en plus dans le décor et au final cela fait des images plus intéressantes !
Il y a des petites imperfections dans vos dessins, un trait qui dépasse de temps à autre, une couleur aux feutres qui frange un peu, est-ce que c’est pour rappeler aux enfants (et à leurs parents) que ce sont de vrais dessins ?
Parfois on me demande si je travaille sur Photoshop ou Illustrator, surtout les jeunes illustrateurs en fait… Je trouve ça très drôle parce que je dessine tout à la main sur papier au rotring avec des règles d’architecture ! Faire un dessin qui peut paraître numérique, mais à la main sur du papier, cela m’amuse énormément. Mais je n’arriverais pas à faire autrement : tout ce travail du dessin, c’est le plus intéressant pour moi. J’aime tout : le trait bien fin du rotring, l’aire de diffusion du feutre à l’alcool dans les fibres du papier…
Votre héroïne est une sacrée petite fille, elle prend les choses en main quand son papa se transforme en ballon et elle gère la maison… D’où vient Hana ?
Cette gamine, c’est un peu moi ! Je ne me souviens pas beaucoup de comment j’étais quand j’étais petite. Mais un de mes souvenirs marquants, c’est que j’avais les cheveux très plats, très pointus, je les rassemblais dans ma main en faisant une pointe et je m’en servais pour piquer les garçons dans la cour ! J’étais un peu garçonne, j’aimais bien marcher à grands pas, écarter les jambes, et quand je dessine des petites filles, elles sont comme ça aussi. Dans l’histoire, quand j’y réfléchis, ce sont plutôt les garçons qui font des « trucs de filles », ils vendent des gâteaux, ils s’occupent du jardin…
Il n’y a pas tant d’histoire de familles monoparentales dans les albums jeunesse, encore moins père-fille, qu’est-ce qui vous a amenée à ce choix ?
Ça a toujours été l’histoire d’une famille avec un seul parent, dès le début. J’y ai longtemps réfléchi parce que je ne voulais pas donner un air trop intime à l’histoire, entrer trop en profondeur dans la relation père- fille. J’y ai tellement réfléchi qu’à un moment, j’ai dit à mes amis que c’était décidé, j’allais tout refaire avec une « Maman Ballon » ! Et finalement non, je suis revenue à « Papa Ballon ». Parce que le Papa est un objet narratif qui mérite d’être plus exploité d’une manière humoristique, voire déstructurée ! Et pas que du côté masculin de la famille : dans les histoires classiques, c’est tellement souvent Maman qui s’occupe des enfants, garçons ou filles, et les rares fois où on a un père, c’est forcément avec le fils. Il faut que ça change ! Il faut « ridiculiser » un peu les papas, même si ça peut paraître un peu méchant. Tout ça pour rendre les Papas plus légers et rigolos, contrairement à leur posture traditionnelle de chefs de famille, sérieux, déterminés, etc. J’aime que le Papa d’Hana change au fur et à mesure de l’histoire : il apprend à être plus soi-même, à être plus léger, à vivre sa vie sans être trop sérieux tout le temps inutilement. J’ai donc redonné son genre au Papa Ballon, et j’ai très hâte de savoir ce qu’en penseront les lecteurs !
Avez-vous été inspirée par certains des auteurs de votre enfance ?
Ce n’est pas pour fayoter avec les éditions 2024 mais je suis une vraie fan de Noboru Baba ! [Auteur de Onze chatons dans un sac paru en 2020 chez 2024, ndlr] Je lisais ses albums encore et encore quand j’étais petite, à tel point que les livres étaient tellement usés que c’était de vrais torchons à la fin ! J’adore ses chats, ils sont tous malins, toujours maléfiques. J’aime que ce soit des personnages qui ne veulent pas être gentils, ils veulent juste vivre leur vie et faire tout ce qui leur plaît.
Vous avez deux veines graphiques qui semblent distinctes, voire opposées. D’un côté, une inspiration venant du shôjô manga en noir et blanc, avec une stylisation maniériste, des personnages androgynes et une composition d’images explosée. Et de l’autre, vos dessins géométriques très colorés, plein de ronds et de personnages « à tête d’œufs » comme les a décrits It’s Nice That… Pourrait-il pourtant y avoir un lien via les personnages « chibis » ou « Super Deformed » (SD), tout en rondeurs et aux expressions exacerbées, qui servent de contrepoints comiques dans les mangas ?
C’est tout à fait possible ! Il faut savoir que les seules bandes dessinées que je lisais jusqu’au collège étaient des mangas et des manhwas [bandes dessinées coréennes, ndlr] et toutes fonctionnaient avec ce système de dessins. Parfois il y a même des mélanges : dans la même planche, des personnages sont représentés avec des proportions normales, avec un ratio de « huit têtes » comme on dit, et dès qu’il y a une blague, les mêmes personnages sont « super déformés ». Dans Patariro [variation autour de l’épopée du Roi Singe, éditée brièvement en France chez J’ai lu en 2005, ndlr], le héros est même toujours en SD, alors que ses amis sont tous en proportions normales par exemple Pour l’enfant et l’adolescente que j’étais, ça me semblait tout à fait normal. Le système est tellement ancré qu’on identifie tout à fait que c’est le même personnage, dessiné pourtant totalement différemment, on ne se pose aucune question. C’est naturel pour moi de faire du SD. Donc il y a sûrement un lien, et mes deux styles graphiques sont en effet peut- être plus proches l’un de l’autre que ce que l’on pourrait penser !
Il y a une tradition des mondes sans adultes dans la littérature de jeunesse. Dans Papa Ballon, les parents sont toujours là mais transformés et les enfants se retrouvent à reprendre leurs rôles. Comment vous placez-vous dans cette filiation thématique ?
Pour les petits, dès que les histoires sont très simples, souvent les enfants sont seuls. « Petit Bleu » n’a pas de parents par exemple, il y a juste « Petit Bleu » et « Petit Jaune ». Dès qu’on est dans une histoire d’aventures, on ne voit jamais les parents non plus. Mais c’est peut-être aussi lié à mon histoire personnelle. J’ai grandi en plein boom économique de la Corée. Mes deux parents travaillaient et à l’époque, c’était tout à fait normal de travailler toute la journée, 6 jours sur 7. Après l’école, j’enchaînais des tas de cours complémentaires – piano, maths, ballet, écriture, etc. J’étais seule jusque tard le soir et il n’y avait pas beaucoup de temps « en famille ». Ce type d’enfance est très courante chez les Coréens de ma génération. Les enfants y étaient laissés seuls, et on vivait notre vie comme ça sans nous poser de questions, c’était normal. Quand je suis arrivée en France, j’étais très étonnée de la relation étroite que mes amis français peuvent avoir avec leurs parents, ils s’embrassent, ils les appellent très régulièrement, ils rentrent toujours pour les fêtes de famille comme noël ou les anniversaires… C’est très bien, mais cette proximité, c’était nouveau pour moi, c’est une vraie différence culturelle. « Dans Papa Ballon, j’ai voulu voir les adultes apprendre à la place des enfants. »
C’est aussi une histoire d’apprentissage et de métamorphose, de transformation…
La transformation des personnages, c’est un thème qui me tient beaucoup à cœur. J’ai toujours été dans la position de quelqu’un qui doit étudier, en Corée d’abord puis en France où il m’a fallu me réinventer, apprendre la langue, un nouveau mode de vie, en plus de mes études aux Arts Décoratifs. Quand je me mets à la place des enfants, je suis toujours un peu en colère que les adultes prennent systématiquement le dessus. Tout comme quand j’étais petite, j’ai l’impression que les adultes parlent aux enfants comme s’ils ne connaissaient rien du monde. Alors que quand on écoute vraiment les enfants, on se rend compte qu’il n’y a pas tellement de différence. Ils comprennent parfaitement le monde, et quand les enfants ne savent pas quelque chose, il leur suffit d’apprendre. Mais c’est vrai aussi pour les adultes, il leur suffit d’apprendre ! Pour moi, les enfants incarnent cette catharsis. Dans Papa Ballon, j’ai voulu voir les adultes apprendre à la place des enfants. La transformation en ballons met adultes et enfants sur un pied d’égalité, même si c’est juste par le pouvoir de l’imagination. C’était vraiment mon envie d’histoire pour enfants.