Clément Vuillier
Les poumons gonflés d’air pur, Clément commence son parcours à Paris, à l’école Estienne, puis file à Strasbourg, à l’école des Arts décoratifs. Il fonde alors avec Idir Davaine le collectif 3 fois par jour ; ils publient régulièrement livres et affiches, mariant élégamment sérigraphie, intelligence et talent (avec Yann Kebbi, Baptiste Virot...).
Chez Clément Vuillier, la montagne gagne à tous les coups, en tout cas les paysages qu’elles offrent et les matières qui les composent. Après son Voyage céleste extatique, sorti en 2015 et réédité en 2022, il s’attaque à L’Année de la comète et enfin, en 2022, Terre rare. Trois. ouvrages liés l’un à l’autre : espace, montagnes et parfois catastrophes s’y côtoient.
Bibliographie :
Terre Rare, éditions 2024
L’année de la comète, éditions 2024
Voyage céleste extatique, éditions 2024
Quelques questions à Clément Vuillier,
à l’occasion de la sortie
de son livre :
TERRE RARE
Cécile Becker : Quel cheminement t’as amené à cette Terre Rare ?
Clément Vuillier : Le voyage céleste extatique [sorti aux Éditions 2024 en 2015 puis réédité en 2022, ndlr] était un projet de diplôme. Il y avait là un attrait pour l’imagerie scientifique ancienne et les gravures, mais aussi pour les théories scientifiques qui ont émaillé l’histoire des sciences et particulièrement celles qui se sont plantées. Je suis parti du Voyage céleste extatique d’Anthanasius Kircher, une sorte de Léonard de Vinci de l’erreur, brillantissime mais qui s’est planté sur pas mal de trucs… Ce livre était un pastiche en même temps qu’un prétexte pour dessiner des paysages. Ensuite, il y a eu Nous partîmes 500, un livre à systèmes : à mesure qu’on avance, un personnage disparaît ; c’était encore un prétexte pour creuser le paysage. Pour L’année de la comète [sorti aux Éditions 2024 en 2019, ndlr], j’ai repris là où je m’étais arrêté pour Nous partîmes 500 : je reviens aux paysages et aux couleurs et y ramène de la séduction mais je retire les dialogues. Il n’y a plus de personnages, que des paysages. En fait ce rapport au paysage, le mien autant que celui du spectateur, m’intéresse. Terre rare, enfin, est la suite en noir de tout ça. Une imagerie aride et pour moi, un exercice d’épuisement : jusqu’où peut-on enlever les éléments narratifs pour aller au bout du paysage ?
Quel est ton rapport au texte, à la narration justement ?
La narration n’est jamais un préalable pour moi, mais je me rends bien compte qu’il faut résoudre la question du récit quand il n’y a pas de personnages. À l’inverse, les couleurs mettent beaucoup plus de temps à faire narration. Mais le texte m’a toujours intimidé, en tant qu’auteur, j’ai beaucoup de mal à m’y confronter. Je manie l’image parce que c’est mon outil, mais j’envie la puissance des mots.
Après L’année de la comète, tu reviens ici sur un plus petit format. N’est-ce pas frustrant lorsqu’on aime autant travailler le paysage ?
Pour L’année de la comète, j’ai produit des images à l’échelle 1, images qui m’ont pris beaucoup de temps. Là, j’avais envie que ça aille plus vite et j’ai donc dessiné sur un format qui est deux fois plus petit que le celui du livre final. En faisant des recherches sur des estampes ou des posters, je me suis rendu compte qu’agrandir marchait très bien et qu’on ne perdait pas en tonicité. C’est un peu un truc de filou mais ça me permettait de faire plus d’images, d’avoir des séquences plus découpées. Rater un 10 par 15 ce n’est pas grave, on peut refaire, sur un A3 en couleurs, on s’autorise moins à une image de côté.
Comment as-tu procédé pour la mise en couleurs ?
Finalement, j’ai pris autant de temps à faire ce livre que L’année de la comète, sauf que le temps n’a pas été réparti de la même façon. Le dessin est en noir en blanc, les couleurs et les niveaux de gris ont été ajoutés à l’ordinateur. 150 pages à coloriser, ça peut être très long. J’ai commencé ce projet pendant le premier confinement, par phases, sans trop savoir où j’allais. Forcément, cette période a un peu noirci l’état des choses, ça m’a conforté pour partir dans quelque chose de pas très réjouissant. Au début, je faisais juste exploser des montagnes… Je fais souvent ça : quelques images et je vois ce qui s’en dégage. Au final, j’ai mis deux ans à faire Terre Rare. C’est clairement un livre plus aride.
Pourquoi ce livre ?
Il y a deux aspects. D’abord, c’est un immense prétexte à dessiner la montagne. J’aime la montagne parce que je la pratique. La partie visuelle vient de mes souvenirs, de mes impressions, de montagnes retranscrites juste par mémoire, je ne travaille jamais d’après photo. Terre Rare, c’est donc une idée de la montagne. J’aime les Hautes Pyrénées, je vais beaucoup dans les Alpes mais comme je ne peux pas faire de la montagne tout le temps, j’ai décidé de la ramener dans mon atelier de banlieue parisienne.
Pour la partie plus narrative, je me suis pas mal renseigné sur les émissions d’énergies, les matières premières, la gestion des ressources et c’est assez déprimant. Il y a un petit livre qui a été un déclic, Le paradis à reconquérir de Henry D. Thoreau, une réaction à un autre livre d’un de ses contemporains, un scientifique béat de l’époque [John A. Etzler, auteur de The Paradise within the Reach of all Men, ndlr] qui parle d’un monde idéal qui pourrait advenir par la science en assujettissant toutes les énergies de la terre. Thoreau reprend son texte dans son essai et le défonce, c’est hyper virulent. Au XIXe siècle c’était hyper actuel et séduisant d’aller dans l’espace pour choper des matières premières. “Tout va bien se passer parce qu’on maîtrise la science…” Je voulais parler de terraformation [transformer l’environnement naturel d’un corps céleste pour le rendre habitable par l’homme, ndlr] mais petit à petit, c’est devenu trop ambitieux alors je me suis rabattu sur la problématique des ressources et des matières premières avec cette boule qui cherche quelque chose et qui abat tout sur son passage.
Tu nous racontes donc que Terre Rare est en quelque sorte la suite de L’année de la comète, mais on est ici clairement dans quelque chose de l’ordre de l’apocalypse…
Pour L’année de la comète, je n’ai pas voulu trancher entre l’apocalypse et la naissance. Pour moi, le propos était assez joyeux même si beaucoup y ont vu la fin du monde. Terre Rare, c’est la petite sœur obscure, l’image sombre d’un avenir. Je dirais que ce n’est pas un livre politique même si le lien à l’écologie est très fort. Tout s’effondre… J’ai voulu parler de prédation sur les ressources naturelles. Mais pour pas que ce soit trop militant, j’ai exporté ces problématiques dans l’espace, ce qui permet à la fois de prendre du recul et de critiquer un hyper-scientisme qui consisterait à trouver la solution en allant coloniser d’autres planètes. Il s’agirait d’abord de prendre soin de celle qu’on a. Avec du texte, on tombait dans un manifeste politique, les images devenaient didactiques. Plus de flou permet à chacun de comprendre je crois.
Il se dégage une sorte de puissance, celle-là nous échappant complètement…
Ce que j’ai voulu faire, c’est montrer la puissance des éléments quand quelqu’un n’est pas là pour regarder. La puissance d’une tornade qui abat tout sur son passage, finalement, c’est assez beau… Je voulais travailler sur cette puissance tellurique et la mettre en contradiction avec cette boule blanche manufacturée. Toute destruction vient de l’homme. Ce sont des visions de la destruction qui cohabitent : la nature qui joue elle-même et l’homme qui vient en prédateur pour tout casser.
Comment as-tu procédé pour maintenir le rythme, tenir la lecture ?
J’ai multiplié les cases sur une page, accéléré les séquences, parfois ralenti le temps. 150 pages avec des cailloux, c’est sûr qu’il fallait garder le lecteur accroché… Il fallait dynamiser, concentrer l’action, montrer une explosion, aller vite tout en s’arrêtant sur quelques pages où le récit est moins découpé.
Peut-on parler du graphisme ?
Les Éditions 2024 m’ont toujours fait confiance, ce que je trouve vraiment chouette (alors qu’ils n’ont pas, a priori, de raisons de me faire confiance !). Ma compagne étant graphiste, c’est elle qui fait le graphisme de mes livres, depuis mon tout premier livre. Et je reconnais que ce n’est pas toujours facile à mettre en page… Mais de fait, je peux tester plein de choses, proposer des versions alternatives de couverture…
Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
Il y a un balbutiement d’un livre pour enfants. Peut-être sur les dinosaures. Je suis en pleine recherche d’images pour trouver de nouvelles façons de dessiner pour écarter l’ordinateur du processus, je préfère.
Pourquoi toujours rechercher, toujours trouver de nouvelles façons de faire ?
J’ai assez peur de devenir maestro dans un domaine. Au bout d’un moment, on prend le risque de s’auto-plagier, on tourne en rond. Je considère qu’il faut changer de thèmes, de façons de faire, de techniques, de formats, d’options. Ça permet de ne jamais s’ennuyer…