Le large sourire qui fend son museau et éclaire sa gueule a traversé le siècle. Depuis sa première apparition en 1923, la Vache qui rit, égérie du fameux fromage fondu, est devenue une icône de la culture graphique française. Nombreux sont ceux qui connaissent, aujourd’hui encore, le nom du créateur de la génisse hilare à la robe rouge : Benjamin Rabier (1864-1939).

Considéré par Guillaume Apollinaire comme le « plus spirituel de nos animaliers », Rabier est l’un des dessinateurs pour la jeunesse parmi les plus connus du xxe siècle. Son œuvre rassemble des milliers d’images et près de deux cents albums, dont la série ayant pour héros le canard jaune au long cou nommé Gédéon. L’infatigable artiste, qui ne cessa de dessiner tout au long de sa vie, travailla également pour la presse, pour le théâtre de vaudeville et pour le dessin animé, dont il fut l’un des précurseurs. Sa renommée dépassa rapidement les frontières : ses albums furent traduits en Espagne, au Portugal, aux Pays-Bas et en Angleterre, et ses dessins traversèrent l’Atlantique, pour se retrouver dans la presse brésilienne et américaine. Sollicité de toutes parts, Rabier déploya son talent sur les supports les plus divers : affiches, publicités, imagerie populaire, matériels pédagogiques, jouets et jeux, sujets en céramique, etc. Mais s’il est un domaine pour lequel son œuvre mériterait aujourd’hui d’être redécouvert, c’est celui de la bande dessinée. Réalisant pour la presse plus de mille six cents histoires en images réparties dans une trentaine de titres, Rabier est très probablement l’artiste français le plus prolifique du début du xxe siècle, avec pour point culminant les années 1905-1915. À cette époque, le terme de bande dessinée n’existe pas. C’est plutôt celui d’histoire en images qui est en usage, même s’il s’agit du même art séquentiel : un récit raconté par une suite d’images juxtaposées sur une même page, avec ou sans texte, sans bulles. L’absence de personnages récurrents de ces courts récits et la nature fragile et éphémère du support qui les accueillait ont longtemps minoré l’importance de Rabier dans une histoire
du neuvième art qui ne consacrait que les personnages héroïques et les albums racontant leurs aventures. Mais il n’est plus possible aujourd’hui d’ignorer l’importance de son œuvre en la matière.