Baba Noboru
©Photo by Koguma-sha.
Baba Noboru naît en 1927 dans la préfecture d’Aomori. Après la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle il officie en tant qu’aviateur, il survit en vendant des pommes ou en enseignant la menuiserie.
Il emménage ensuite à Tokyo, en 1949, pour devenir mangaka, et se fait bientôt un nom, aux côtés d’Eiichi Fukui et d’Osamu Tezuka. Peu de choses sont parvenues jusqu’à nous de cette période — il apparaît toutefois comme personnage dans Black Jack, sous la plume d’Osamu Tezuka (sa moustache et son chapeau le rendent aisément identifiable !)
C’est à partir des années 1960 que sa carrière prend un tournant décisif, lorsqu’il se lance dans l’édition de livres illustrés pour enfants, sous l’impulsion de l’éditeur Koguma. Après Kitsune-mori no yamaotoko, en 1964, récompensé d’un Sankei Children’s Book Award, il a très vite l’idée des Onze Chatons (11 Piki no Neko), en s’inspirant d’une bande de chats voleurs développé dans sa
période manga.
En 1968 paraît le premier volume, qui lance la série avec succès, récompensé également d’un prix Sankei. Viendront ensuite cinq autres volumes — dont Onze Chatons et les Albatros, prix Bungeishunjü en 1973 — et le livre-objet Onze Chatons courent le marathon, de type emaki (semblable à un leporello), qui obtient une mention spéciale aux Bologna Ragazzi Awards.
Bibliographie :
Onze Chatons dans un sac, éditions 2024
Onze Chatons et un cochon, éditions 2024
Onze Chatons dans la gadoue, éditions 2024
Onze Chatons et un drôle de chaton, éditions 2024
Onze Chatons et l’Albatros, éditions 2024
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Noboru Baba à propos de sa série de livres
Les Onze Chatons
« Un méchant ami à moi m’appelle Neko Baba (Neko veut dire le chat en japonais) parce que beaucoup de mes livres tournent autour des chats. Je ne sais pas pourquoi j’ai commencé à les dessiner, mais j’ai toujours été intéressé par les chats. On me demande souvent si j’aime les chats. Je ne peux pas dire le contraire, mais pour autant, je ne dirais pas que je les adore.
L’autre fois, on avait un chat chez nous, mais je ne le trouvais pas si mignon. Et puis, les chats sont égoïstes et blasés, ils ne viennent sur tes genoux que quand ils ont froid, jamais quand tu les appelles. Par contre, s’ils veulent manger un poisson dans un placard, ils n’abandonneront pas.
Qu’est-ce qu’ils sont têtus ! Et jaloux en plus, orgueilleux. Ils font semblant de te reconnaître, ou de ne pas savoir qui tu es. C’est tout ça qui m’intéressait. Plus on observe le mode de vie des chats, plus on arrive à reconnaître celui des humains. »
« Il y a quelques repères de chat par ici, j’aime bien aller y jeter un coup d’œil quand je me balade. Les chats se rassemblent entre les parkings, au fond de la rue… Chaque chat a son propre territoire. Ils ne sont pas tous voleurs, mais sont parfois à moitié sauvages, ou à moitié domestiqués, leurs couleurs aussi sont très variées. Il y a un chat en particulier qui est vraiment magnifique et qui habite au fond de la rue. Il a un corps blanc et une tache noire sur le front, le dos et la queue, qui lui donne une allure très noble. Il aime bien se mettre sous un brin de soleil dans son coin, et il se coiffe en tortillant son corps comme un acrobate. Quand je le repère en passant devant cette rue, je m’arrête toujours pour le regarder. Ce chat a l’esprit vif, il sait que je le regarde, mais il me laisse faire. Une fois je l’ai vu bailler, juste après s’être réveillé. Cela a duré à peine quelques secondes, mais son corps s’est soulevé comme une vague, j’ai adoré. Il a d’abord étendu ses deux pattes en avant le plus loin possible, puis il a retiré son cou, et à ce moment-là sa bouche s’est ouverte en grand, pendant que sa poitrine touchait le sol, et que son dos montait comme une montagne. Ses pattes arrière tapaient le sol, son corps faisait à peine une ligne, et cela a créé comme une arche. J’ai essayé de faire pareil il n’y a pas longtemps, mais je me suis blessé au coup, j’ai encore mal. »
©editions 2024
« Je l’ai rencontré pour la première fois en 1951. J’ai débarqué à la capitale un an auparavant, d’Aomori, et à ce moment-là Tezuka habitait encore à Takarazuka, sa ville natale. Mais je connaissais déjà très bien ses bandes dessinées, que je lisais en boucle quand j’habitais à la campagne. C’était des livres édités par une maison d’édition d’Osaka, mais ça arrivait déjà dans le nord du Japon. (…)
Au printemps 1951 a été fondé le collectif d’auteurs de bandes dessinées jeunesse de Tokyo. (…) Tezuka était là discrètement. Je n’ai pas beaucoup échangé avec lui. (…) C’était un jeune homme qui paraissait encore plus jeune, avec un corps fin, parlant vite, qui rigolait beaucoup.
Tezuka est devenu une grande star du manga en très peu de temps, débordant de projets, harcelé par les éditeurs jours et nuits. Même dans le train qu’il prenait souvent pour faire des allers-retours à la capitale, il dessinait. C’est incroyable, il arrivait à dessiner sur sa valise posée sur les genoux, et c’est pas facile. Il m’a raconté qu’un jour, le contrôleur du train l’a vu dessiner comme ça, et il a eu trop de pitié pour lui, et l’a laissé dessiner dans la salle de contrôle.
Il n’avait même pas de temps pour dormir. Quand on partait en voyage avec les amis dessinateurs, la nuit à l’hôtel, il dessinait dans la couette, par terre avec l’oreiller sous la poitrine. « C’est confortable » disait-il. Alors j’ai fait pareil, mais je ne pouvais pas rester comme ça plus de 5 minutes. Je crois que le corps de Tezuka, je ne sais pas comment c’est possible, mais il est construit différemment que d’autres êtres humains. (…) En y pensant, c’était vraiment quelqu’un d’unique. »
Baba Noboru, extrait de « Regard Moderne », revue du Musée national d’art moderne de Tokyo, n°7, 1999.
« Noboru Baba était un très bon ami de Tezuka, qui le trouvait formidable. Tezuka admirait beaucoup la personne et l’œuvre. Quand il avait des problèmes professionnels, il demandait souvent comment Noboru Baba s’y prenait, pour s’en inspirer. Tezuka était le dessinateur le plus populaire à ce moment-là, il publiait beaucoup et avec de grands tirages. Comme vous le savez, Tezuka puisait ses œuvres dans une imagination débordante, en s’appuyant sur sa fascination pour les connaissances scientifiques, et sur son humanisme passionné.
Les œuvres de Noboru Baba sont le contraire de celles de Tezuka. Les albums de Baba sont nonsensiques, décontractés, malins et doux, ce qui fait penser au climat du Japon lui-même, aux peintures japonaises populaires traditionnelles. Quand on le lit, le bout des lèvres montent, les muscles se décontractent, on sourit sans s’en rendre compte. Ses dessins sont construits par des rondeurs chaleureuses, faits avec des traits incroyablement doux, c’est cela l’univers unique de Noboru Baba. Le grand Tezuka l’a bien compris, et a dû accepter qu’il n’arrivait pas à faire pareil. Et [la rivalité du départ] s’est transformée en admiration pour Noboru Baba, qui arrive sans effort à faire des choses que lui-même ne peut pas.
Tezuka a toujours essayer d’explorer des nouveaux terrains, dans la BD, le cinéma d’animation. C’est comme ça qu’il est resté numéro 1 pendant plus de quarante ans. Par contre, il est évident qu’il a été usé mentalement et physiquement. Baba en revanche, a créé son univers dès ses débuts, sans se laisser influencer dans tous les sens. Il a gardé et approfondi le même univers, que ce soit dans les bande dessinées des débuts ou dans les derniers albums jeunesse. Ce ne serait pas exagéré de dire qu’il n’a jamais tourné son regard ailleurs. Quel que soit le personnage qu’il dessine, il rejoint immédiatement son monde. Sur ce point, il ressemble à ses personnages de bd, qui ont l’air tout mou et tout facile, mais qui au final ne font pas de compromis. Il est devenu populaire bien plus tardivement. Serait-il exagéré de penser que s’il a été si lent, c’est parce qu’il a mis du temps à s’aimer et à aimer son propre univers ? »
Baba Noboru par Tezuka, d’après l’éditeur Masauki.
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