Guillaume Chauchat
©Christophe urbain
Guillaume Chauchat, né à Paris en 1981, coule une enfance heureuse entre la France, la Hongrie, et les États-Unis. Il entreprend des études de comptabilité puis d’économie et renonce bien vite à cette carrière vainement vouée au succès (et à l’argent) pour devenir illustrateur. Il débarque à Strasbourg, rencontre des gens pleins de talents et co-fonde le fanzine Belles Illustrations.
Dessinateur compulsif, il publie avec prodigalité dans le domaine de la micro-édition (Boom Shaka Laka, chez Gargarismes), de l’édition jeunesse (La Flaque d’eau bleue, La Partie ; La Villa Nuit, Biscoto), et bien sûr de la bande dessinée (Il se passe des choses, trois tomes parus, éditions 2024).
Quand il ne dessine pas, il regarde des films, achète de vieux livres, ou triture des fils de fers pour offrir de frêles sculptures à ses amis.
Bibliographie :
Je suis un américain, éditions 2024
Il se passe des choses 1, éditions 2024
Il se passe des choses 2, éditions 2024
Il se passe des choses 3, éditions 2024
Fesse, éditions 2024
Quelques questions à Guillaume Chauchat,
à l’occasion de la sortie de son livre :
JE SUIS UN AMÉRICAIN
Pourquoi avez-vous choisi, avec Je suis un Américain, de vous inspirer de votre vécu, votre enfance aux États-Unis en l’occurrence ?
En fait, c’est le cas dans tous mes livres. Il se passe des choses, ça vient de choses que j’ai éprouvées. Je me suis caché, c’est tiré d’une anecdote, etc. Les points de départ de mes livres sont toujours des sensations que j’ai éprouvées.
Mais l’idée de Je suis un Américain est effectivement plus intime. Je me suis rendu compte que je racontais beaucoup cette période de ma vie, celle où j’avais vécu aux États-Unis et à quel point ça m’avait marqué. C’est une part de moi sur laquelle je m’étais beaucoup construit. Au lycée, tu as celui qui a des lunettes, celui qui a des parents divorcés, etc. Moi je jouais la carte de celui qui a vécu aux États-Unis.
Et c’est vrai qu’il y a quelques faits qui sont réels. Mais, encore une fois ce sont plus les sensations que les faits. Parce que dans Je suis un Américain, finalement, il y a peu de choses qui me sont arrivées pour de bon.
Quel est votre rapport aux États-Unis ? Comment a-t-il façonné ce projet ?
Quand on a eu la chance de partir vivre là-bas avec ma famille, ça a été une bouffée d’air. Tout était possible. C’est aussi pour ça que les États-Unis ont vraiment frappé mon imaginaire. Le Nouveau Monde, quoi.
On est rentrés quand j’avais dix ans. Je suis reparti aux États-Unis tous les étés jusqu’à l’âge de mes quinze ans. Et puis je n’y suis plus allé. Pendant la période où je retournais aux États-Unis, je rêvais en anticipation de mon séjour. Je rêvais du vol, de l’atterrissage, du contexte, de la langue. Quand j’ai arrêté d’y aller, je continuais à faire ces rêves mais ils se dégradaient. À mon arrivée aux Arts déco, j’ai eu l’envie de faire de cette expérience américaine un projet formel. Ce qui a provoqué de plus en plus de ces « rêves américains ». Ceux-ci s’éloignaient encore plus du réel. Il y a certains rêves où les décors étaient tous en carton. Mais j’étais quand même content d’y être. Me balader dans des lieux - même en papier carton - qui évoquaient un endroit auquel je n’avais plus accès me rendait heureux. Je ne sais pas pourquoi. Mais comme je ne suis ni philosophe, ni scientifique, j’ai voulu creuser ces questions avec de la fiction. Je me suis demandé comment cet imaginaire vient cohabiter avec le réel pour l’aménager. C’est, en partie, ce qui m’a donné envie de faire Je suis un Américain.
Dans Je suis un Américain, vous avez l’intention de faire discuter les différents niveaux de réalité, que ce soit fiction, souvenir, rêve ou vécu...
Oui, parce que je pense que ça discute en permanence. Je pense que tous ces imaginaires forment un ensemble avec lequel on aménage notre réel. C’est rigolo, d’ailleurs, qu’on les sépare autant. Un rêve t’affecte réellement. Que ça se soit bien ou mal passé, quand tu te réveilles, tu ressens les évènements du rêve tout aussi fort que ce qui peut se passer dans la journée. Tu peux en tirer des conclusions, changer ton comportement... tout comme dans le réel, sauf que c’est quelque chose qui n’est pas palpable, c’est la seule différence. J’aurais pu aussi faire figurer une séance chez l’analyste où l’on fouille en soi pour en sortir quelque chose. Toutes ces actions sont un travail avec différents imaginaires. Tout ça est entremêlé et a un impact sur notre vie réelle, pour peu que l’on en soit conscient. Et là, les personnages en sont conscients.
Qu’est-ce que vous avez voulu nous dire avec Je suis un Américain ?
Je ne pense pas avoir eu l’intention de dire quelque chose au lecteur, mais plutôt de donner à voir des sensations. Le sujet global c’est : comment on s’en sort avec nos imaginaires pour remodeler le réel, s’arranger avec le réel et même combattre le réel, quel rôle l’imaginaire peut avoir dans nos vies et à quel point c’est concret. Ce n’est pas seulement dans nos têtes, ça a des répercussions, ça nous forge, ça façonne nos rapports aux autres, au monde. Je me suis dit que si je voulais vraiment parler de tout ça, il fallait que je m’éloigne des anecdotes. J’ai donc inventé trois personnages qui s’appellent tous pareil : Jean, le Français, Jane, l’Américaine, et Jeannie, la fille de Jane. Jean est un écrivain, qu’on suit enfant puis jeune adulte. On le voit se débattre avec le fantasme des États-Unis qui est un pays dans lequel il a vécu. On va comprendre que pour lui l’Amérique ne sera plus jamais qu’un rêve. Jane est traductrice et elle va voir sa fille faire le même voyage qu’elle à son âge, en France. Ça va faire ressurgir tout un tas de souvenirs et lui rappeler qu’elle aurait pu avoir une autre vie. Depuis toute petite, Jane fantasme la France au travers des objets exportés : les bibelots, les films, tout ce qu’il y a de plus cliché. Leur point commun à tous c’est d’avoir un imaginaire qui s’est construit autour de choses qui sont des clichés, qui n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité de ces pays.
Lorsque Jean prend une cuite avec ses amis, on lui propose de rentrer chez lui, et il se pose la question : « Chez moi ? » C’est une des grandes questions de ce livre aussi, le « chez-soi »...
C’est marrant, parce que je me suis aperçu, en faisant cette case, que le personnage avait les deux mains sur la tête, comme si c’était un petit toit. Oui, ce livre parle beaucoup de la sensation d’être chez soi. Qu’est-ce qui fait « chez-soi » ? Pour moi, j’imagine que ce sont les autres qui font chez soi. C’est les personnes dont on s’entoure et peut-être un ou deux objets. Si tu es entouré des gens dont tu as envie d’être entouré, tu es chez toi. Mes personnages cherchent leur chez-eux, leur vérité, quelque chose à eux.
Dans cette recherche de vérité, il y a une phrase qui marque, celle prononcée par Jeannie : « Je suis juste contente d’avoir une excuse pour croire à un mensonge »...
C’est la nécessité de la fiction. Pourquoi on a besoin de fiction ? Pourquoi, quand on va voir un tour de magie, on n’a pas envie de savoir comment il fonctionne ? On veut qu’on nous raconte une histoire et qu’elle soit suffisamment bien racontée pour qu’on ait le droit d’y croire. Dans la réalité, c’est pareil. Dans nos vies, on fait ça à plein de moments. Parfois c’est heureux, parfois c’est malheureux. Parfois, on se ment à soi-même, parfois on se crée des petites illusions parce que c’est joli.
Vos personnages ont des âges charnières : dix ans, la fin de l’enfance, vingt ans, la fin de l’adolescence et quarante ans, le début des regrets. Pourquoi avoir choisi ces âges-là ?
Ça s’est fait naturellement par rapport aux choses que je voulais raconter. Il y a des époques de la vie dans lesquelles des choses se passent, où il y a des mutations. Ce sont des âges qui incarnaient les sensations dont je voulais parler. Tout ça a beaucoup bougé parce qu’au début, je n’avais qu’un seul personnage. Au final, j’ai réparti un peu la charge de ces différents rapports au réel avec les trois personnages, Jean, Jane et Jeannie.
Pourquoi avoir voulu répartir cette « charge » comme vous l’appelez ?
C’est au cours de l’écriture que je me suis aperçu que Jean ne suffisait pas. Si j’avais tout mis sur le même personnage, je pense qu’on en aurait eu un peu marre. Moi le premier, d’ailleurs. Dans un livre, un personnage ne peut pas tout ressentir, tout porter. La lecture d’une BD, c’est rapide. Sur l’échelle d’une vie, une personne peut changer d’idées, se contredire, etc. Sur un livre qui se lit en vingt minutes, c’est plus compliqué, on risque de ne pas y croire. Même si les trois personnages se ressemblent beaucoup, en les séparant, on rend ça plus digeste.
Votre dessin change beaucoup par rapport à votre dernière BD adulte, Il se passe des choses. Que vous apporte ce gros trait noir et ces couleurs vives ?
C’est ce gros trait noir, qui permet d’accueillir ces couleurs vives. Je suis un Américain c’est le livre que je veux faire depuis que je suis étudiant. Quand Olivier et Simon ont monté les éditions 2024 après les Arts déco, il y a plus de dix ans, c’est le projet que je voulais leur soumettre. Mais j’avais l’impression que mon dessin de l’époque ne collait pas avec ce que j’avais envie de raconter. En attendant, je me suis donc embarqué dans d’autres projets et au final, c’est le cycle Il se passe des choses que j’ai écrit/dessiné. Après ça j’ai voulu me remettre à Je suis un Américain. Je faisais exclusivement du noir et blanc, et mon dessin reposait énormément sur des effets de plume. J’étais un peu perdu, il me semblait que j’avais besoin d’autre chose pour mener mon nouveau projet à terme, sans savoir quoi au juste. Je suis donc parti en quête d’un autre rapport au dessin. Pendant plusieurs mois, j’ai illustré des mots au hasard. La contrainte que je m’étais fixée était de faire la première image qui me venait en tête en tirant des mots au sort. Je devais la réaliser relativement rapidement, sans refaire et en couleurs. Progressivement est apparu un dessin, que j’appelle vitrail. Un épais trait cerné qui vient accueillir des aplats de couleurs primaires. Ça a fait remonter à la surface une longue lignée d’images que j’aimais et qui m’ont sans aucun doute beaucoup influencé : gravures sur bois mises en couleurs à la main, vitraux, presse illustrée et affiches éditées entre 1870 et 1939, etc. Une partie de ces recherches a été mise en livre dans BOOMSHAKALAKA, publié aux éditions Gargarismes. Cette recherche de dessin a encore donné lieu à quelques projets avant de s’appliquer à Je suis un Américain. Après La Villa Nuit (éd. Biscoto), qui est né de l’écriture de Je suis un Américain, je me suis dit : « Ça y est, je me lance. » J’ai pris une année sabbatique de mon travail à la HEAR, pour réaliser ce projet qui n’en finissait pas de commencer.